Pharamond porté sur le pavois par les guerriers francs

De Francion à Pharamond

   Au Moyen Âge s’est développée l’idée que les Francs avaient, tout comme les romains de l’Antiquité, des origines mythiques. De là l’idée que les Francs descendent des troyens, développée avec plusieurs variantes.

La plus ancienne, qui remonte au VII° siècle, implique un certain Francion, neveu d’Énée, qui aurait vaincu les Alains à la demande de Valentinien (donc au IV° siècle après Jésus-Christ) et fondé le peuple des Francs. « Franc » voudrait donc dire « féroce ».

Un siècle plus tard, vers 727, une autre variante fait intervenir Anténor, un puissant troyen qui trahit le roi Priam, s’enfuit, fonde Venise puis fonde Sycambria avec Priam le Jeune au XII° siècle avant Jésus-Christ. Les sycambriens auraient ensuite prospéré, jusqu’au IV° siècle après Jésus-Christ où Valentinien aurait tenté de les soumettre à l’impôt. Ils auraient alors refusé et obtenu une exemption d’impôt pendant dix ans en se battant contre les Alains. À l’expiration de l’exemption, ces Francs (cette fois appelés ainsi parce que « libres d’impôt ») auraient de nouveau migré, cette fois en traversant le Rhin, sous la houlette de Marcomir, fils de Priam, et Sunno, fils d’Anténor. À leur mort, les Francs auraient choisi un unique roi, Pharamond, fils de Sunno. Ce Pharamond aurait eu un fils, Clodion le Chevelu, qui aurait donné naissance à Mérovée, lui-même père supposé de Childéric 1er, père de Clovis. Aujourd’hui, les historiens sont quasiment sûrs que Pharamond n’a jamais existé, et ont de sérieux doutes, sinon sur l’existence, du moins sur les liens génétiques de Clodion et Mérovée. Mais je m’égare, revenons à nos moutons.

   Vous l’aurez compris, cette histoire a du mal à tenir la route, car plus d’un millénaire sépare la fondation de Sycambria et la bataille contre les Alains qui donnent leur nom aux Francs, alors que les auteurs ne parlent que de quelques générations de princes…

   Pour remédier au problème, auXII°-XIII° siècle, Rigord, le célèbre biographe de Philippe Auguste, invente le personnage du duc Ybor, qui serait parti de Sycambria et aurait fondé Paris au IX° siècle avant Jésus-Christ. À partir de là, se développe l’idée d’une fusion précoce entre les sycambriens et les gaulois dont parlent les textes latins, et pour conserver le mythe, on attribue aux gaulois les mêmes origines troyennes que les Francs. Mais la chronologie continue de poser problème, et les humanistes finissent par remettre en cause le mythe tout entier en montrant que les peuples barbares sont bien plus récents.Cela n’empêche cependant pas Ronsard de se prendre pour le Virgile national avec sa Franciade.

   En fait, le mythe des origines troyennes a surtout un intérêt politique: se réclamer d’ancêtres troyens, c’est garantir l’ancienneté, l’unité et le prestige de la nation par rapport aux autres pays. C’est d’ailleurs ce qui rend la figure de Francion un peu problématique à partir du XIII° siècle, quand il n’est plus présenté comme le neveu d’Énée mais comme le fils d’Hector, et donc apparenté à Turcus (ancêtre éponyme des Turcs) et Brutus (ancêtre éponyme des Anglais). Plus concrètement, le mythe troyen est utilisé pour prouver les droits des Francs sur une partie de l’ancien Empire romain ainsi que l’indépendance du royaume par rapport à la papauté et au Saint-Empire, pour dénigrer les Anglais (on développe l’idée que les Troyens bretons auraient été exterminés par les Saxons et que les survivants se seraient repliés sur la petite Bretagne) et pour justifier les croisades. Il justifie même le fait que le roi doive obtenir l’accord de ses sujets pour lever des impôts sur tout le royaume, car les Francs sont par définition libres de tribut.

    Et les GCF dans tout ça ? Eh bien, elles consacrent leur premier chapitre aux origines troyennes des Francs, en insistant beaucoup sur le combat des Francs contre les Alains. Mais si le texte ne change pas beaucoup, les enluminures elles sont assez variées et mettent l’accent sur des évènements différents (les combats entre Grecs et Troyens, la fuite de Troie, la fondation de Sycambria, les affrontements entre Francs et Alains ou entre Francs et Romains…), comme vous le verrez.

Pour plus d’informations sur ce mythe, voir Colette Beaune, Naissance de la nation France, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », Paris, 1985. Vous pouvez aussi essayer la page facebook « le mythe troyen français » … si vous n’avez pas froid aux yeux 🙂